LA CES PASSE A L'OFFENSIVE

Publié le par Liberté 62

 

Liberté 62 n°759 - Le 1er Juin 2007 – p.16/17 - Monde

 

 

CONGRES DE LA CES
LA CES PASSE

 
À L'OFFENSIVE

 


Le 11e congrès de la Confédération européenne des syndicats s'est déroulé en Espagne, à Séville, du 21 au 24 mai. Dans le projet de motion d'orientation envoyé à ses organisations, la CES propose de passer à l'offensive sur les problèmes de l'emploi, la protection sociale et les services publics.

MILLE délégués représentant les 81 centrales syndicales dans 36 pays européens et 11 fédérations de branches professionnelles ont débattu pendant quatre jours des problèmes posés à l'ordre du jour. Sous l'apparente unanimité qui s'est manifestée notamment le dernier jour avec l'adoption de la «résolution d'urgence pour la défense de la charte des droits fondamentaux», des approches différentes, voire des oppositions fondamentales subsistent. La volonté d'unité d'action a pu surmonter les divergences entre un syndicalisme d'accompagnement, de régulation du système économique et un syndicalisme de lutte. Les ambiguités de la CES se révèlent dans le désir de promouvoir une Europe sociale dans une Europe où «la concurrence est libre et non faussée» que continue de soutenir la CES.


p0000003.gifLe déroulement du congrès et son contexte

La CES a été créée en 1973 alors que l'Union européenne n'était encore que la Communauté Economique Européenne (CEE) et qu'existaient encore les régimes socialistes européens. D'emblée, elle avait pour but de dépasser le cadre étroit de la CEE, avec l'adhésion de syndicats et de pays membres de l'AELE (Association Européenne de Libre Echange). Elle est actuellement la plus grande organisation européenne fédérant la plupart des centrales européennes, regroupant 60 millions d'adhérents et n'a guère de concurrence. Face à elle, existe la CESI (Confédération Européenne des Syndicats Indépendants) qui regroupe des syndicaux libéraux, lesquels ont rejoint la plupart du temps la CES. Subsiste encore la FSM (Fédération Syndicale Mondiale) qui a perdu de son influence avec la chute des régimes socialistes. Des fédérations, telle la fédération agro-alimentaire CGT, des syndicats en sont encore adhérents et garde donc une certaine représentativité en France et surtout en Grèce - le secrétaire général de la FSM est grec-. Par ailleurs, les syndicats français «Solidaires» tentent de créer une fédération européenne des syndicats. Reste que la CES regroupe la plupart des forces syndicales européennes. D'ailleurs, elle est reconnue en tant que telle par l'Union européenne, l'AELE et le Conseil Européen.

L'arrivée, à la fin des années 1990 de syndicats s'inspirant d'un syndicalisme de transformation sociale - la CGT en 1999, la CGT portugaise, les commissions ouvrières espagnoles - a amené la CES à dépasser l'action de lobbying - groupe de pression et dialogue institutionnel - pour une attitude plus combattive face au chômage de masse, au dumping social et aux délocalisations dûs à la politique libérale européenne. Aussi le 11e congrès s'est-il donné comme mot d'ordre «À l'offensive» titre du «manifeste de Séville» adopté par les congressistes, l'ambiguïté subsistant néanmoins dans l'objectif et le contenu de cette offensive, de «la stratégie et du plan d'action» qui avait été initialement proposé aux grandes organisations.

Le déroulement du Congrès n'en a pas moins été dans la tradition des congrès précédents : présence et intervention de Jose Manuel Barroso, le président de la Commission européenne, de Jose Luis Rodrigez Zapatero, président du gouvernement espagnol, de Vladimir Spidla le commissaire européen à l'emploi, aux affaires sociales et à l'égalité des chances, de Franz Münterring, vice-chancelier et ministre allemand du travail et des affaires sociales et de Jésus Caldera-Sanchez Capitan, ministre espagnol au travail et surtout de Ernest-Antoine Seillière, président de Business Europe, l'organisation patronale européenne. Des participations inconcevables en France : analogues à la présence de François Fillon et de Laurence Parisot à un congrès de la CGT ou même de la CFDT ou encore de Xavier Darcos à un congrès de la FSU. L'organisation de tables rondes reflète cette même ambiguïté qui pousse «le dialogue social» jusqu'à la collaboration de classes.

Trois tables rondes ont été organisées dans cet esprit. La première sur le "modèle social européen" par Nyrup Rasmussen, secrétaire du PSE (Parti Socialiste Européen) ; la seconde sur les politiques salariales dans l'Union monétaire avec Jean-Claude Trichet, président de la Banque centrale européenne ; la troisième sur la gouvernance sociale, économique et environnementale. À noter la participation importante de la social-démocratie européenne et l'on devine ainsi l'orientation générale de la CES.

Les revendications syndicales

Et pourtant, l'on ne peut nier une prise en compte réelle des préoccupations actuelles des travailleurs européens même si l'approche reste ambigüe, modérée avec la volonté évidente de compromis. Ainsi en novembre 2006, la CES a lancé une pétition «pour les services publics de qualité, accessible à tous». Cette initiative répond à la décision de la Commission européenne de libéralisation des services postaux, les livrant selon la CES «à la libre concurrence pour le 1er janvier 2009 sans se préoccuper du maintien d'un service universel accessible à tous».
La CES a proposé un moratoire pour les libéralisations et une directive cadre pour les services d'intérêt économique général (SIEG) - les SIEG peuvent être privés en exerçant une mission de service public-. Or la pétition ne demande pas le maintien du monopole d'État mais des services publics de qualité accessibles à tous - et qui pourraient donc être des SIEG - et une base juridique solide afin de protéger les services publics au tout marché. Au Congrès, la CES a lancé une initiative pour augmenter les salaires dénonçant la pauvreté de certains salariés et l'inégalité entre les hommes et les femmes. Elle ne demande pas cependant l'instauration d'un SMIC européen compte tenu des expériences différentes, reprenant en cela l'argumentation développée par le rapport Delors-Rasmussen sur l'Europe sociale présente au congrès du parti socialiste européen.

Elle propose des SMIC pour chaque pays. Le point de discussion le plus important a porté sur l'emploi et sur la notion de flexicurité ou flexisécurité. En France, Nicolas Sarkozy a présenté cette proposition pour la sécurité sociale professionnelle - terme repris à la CGT - ou la sécurisation des parcours professionnels - idée de la CFDT - en avançant l'idée d'un contrat unique. Cette notion a été évoquée pour la première fois au Conseil de Lisbonne en 2000 qui préconisait une réforme du marché du travail. On donne souvent l'exemple du Danemark où l'employeur à la liberté de licencier et l'employé une allocation chômage en attendant un autre emploi, ce qui donne une grande instabilité d'emploi. D'ci quelques semaines, la Commission européenne doit faire une communication sur le concept de flexicurité. Au nom de la CGT, Jean-Christophe Le Duigou a demandé sur quelles bases allait se faire la négociation. La question n'est pas fortuite. Commission européenne et patronat insistent sur la flexibilité. Ainsi Ernest-Antoine Sellière, intervenant au Congrès, a déclaré qu'il fallait «une adaptation du modèle social européen avec plus de flexibilité" et que "pour lui le statu quo social serait très dangereux, «la flexibilité du marché du travail est indispensable.»

Jose Manuel Barroso inscrivait ce concept dans la «philosophie du mouvement ouvrier» et Vladimir Spidla estimait qu'il s'agissait d'une réponse cohérente aux défis de l'emploi. John Monks, le secrétaire général de la CES a répondu : «cela devient un menu à la carte dont les choix les plus prisés par les hommes politiques sont la fin des contrats sécurisés, la réduction de la protection de l'emploi et des droits aux allocations de chômage». Pour autant, la division est apparue au sein de la CES sur la flexicurité. La majorité a estimé qu'il faut “équilibrer la flexibilité et la sécurité”. En revanche, la CGT portugaise a demandé de retirer ce concept du texte car il n'était pas syndical. FO et la FGTB (Fédération Générale du Travail de Belgique) ont présenté des amendements visant à retirer cette notion d'équilibre de flexibilité et sécurité qui n'ont pas été retenus. La volonté de compromis avec le patronat et la commission européenne a triomphé.

L'Europe sociale

La CES, comme les 18 pays qui ont adopté le TCE (Traité Constitutionnel Européen), est restée fondamentalement attachée au TCE. Ainsi il faut être «à l'offensive» pour «une Union européenne dotée d'une gouvernance économique, sociale, environnementale» et pour «une europe plus forte». FO et la CGT partisans du "non" au référendum ont estimé qu'il fallait abandonner toute référence à la Constitution. La majorité de la CES a alors cristallisé la discussion sur la défense de la charte des droits fondamentaux exigeant qu'elle soit intégrée au traité - traité simplifié ou mini-traité - qui serait présenté. La CGT avait estimé qu'il suffisait que la Charte fasse partie du droit communautaire. Cet attachement à la charte s'explique car elle est la seule conquête de la CES. Or la charte que la CFDT considère comme «une innovation juridique mondiale et un progrès inédit», est loin d'être l'avancée sociale qu'il faut défendre à tout prix. Sur certains points, elle est en retrait par rapport à la Constitution française et sur la Déclaration universelle des droits de l'homme.

Elle présente un modèle social au rabais : droit de travailler et non droit à l'emploi, respect de l'accès aux services d'intérêt économique général et non services publics "droit aux personnes âgées à mener une vie digne et indépendante" et non droit à une retraite décente - l'âge de la retraite n'est pas mentionné -, durée hebdomadaire maximale de travail et non durée légale, droit d'accès aux prestations sociales et non sécurité sociale, remise en cause de la laïcité et enseignement libre, les droits des femmes - divorce, avortement...- oubliés. Sans doute est-ce par souci d'affirmer l'unité d'action que la décision de manifester à Bruxelles lors de la tenue du Conseil européen à Bruxelles les 21 et 22 juin a été prise à l'unanimité.

Pour une CES forte tant au niveau européen qu'au niveau national

La CES affirme passer «à l'offensive » pour se renforcer. Elle veut à la fois augmenter le nombre de syndiqués et faire respecter par l'Union européenne son rôle de partenaire social. Toute une partie du «manifeste de Séville» est consacrée au dialogue social, à la négociation collective et à la participation des travailleurs. Face au capitalisme de casino, c'est-à-dire au capitalisme financier qu'elle dénonce, la CES pense qu'il faut le dialogue social, sans négliger pour autant les actions, campagnes pour les salaires notamment. En cela, elle estime agir comme un véritable syndicat européen pour négocier avec la Commission européenne, laissant aux syndicats nationaux le soin de recruter les syndiqués. C'est la position défendue par la nouvelle présidente, la suédoise Janga- Lindby-Wedin qui succède à l'espagnol Candido Mendez Rodrigez. La nouvelle présidente illustre aussi la décision de promouvoir les femmes au sein de l'organisation pour atteindre la parité. L'anglais John Monks reste le secrétaire général. Il avait été une première fois élu lors du précédent congrès en 2003. Il est assisté par deux adjoints et de 4 secrétaires, également réélus, dont Joël Decaillon de la CGT. Au Comité de direction de 21 membres et qui se réunit deux fois par an, a été élu pour deux ans. Bernard Thibault qui sera remplacé par François Chérèque de la CFDT, lequel lui laissera la place au bureau exécutif de la CSI.

Cette élection de Bernard Thibault au comité directeur semble marquer la volonté de la CES de réaliser l'équilibre entre les partisans du lobbying et les partisans d'une mobilisation des travailleurs de toute l'Europe. Reste que le contenu du «manifeste de Séville» est typiquement réformiste. Est-il exagéré de penser que l'Europe sociale de la CES rappelle l'Europe sociale du PSE et que cela n'est pas inintéressant dans la perspective des élections européennes de 2009 ?

 

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