1948, LA GUERRE AUX GUEULES NOIRES

Publié le par Liberté 62

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Liberté 62 n°793 - Le 25 Janvier 2008- 2 et 3-
Événement

 

 

1948, la guerre aux gueules noires

 

Par Jean Michel Humez

 

On avait loué leur patriotisme en 1941 pour s'être dressés contre l'occupant allemand, on leur avait attribué le titre de meilleurs ouvriers de France en 1944 pour avoir aidé au relèvement de la France d'après-guerre en s'engageant dans la bataille du charbon décrétée par Maurice Thorez et le général de Gaulle, on va les réprimer dans la violence en 1948 pour avoir voulu défendre leur statut. Une grève dure et longue face à un gouvernement, incarné par le ministre socialiste Jules Moch, qui ne reculera devant rien pour mater ce mouvement revendicatif. BIlan : 4 morts et une impasse.

 

 

EN 1946, soit seulement deux ans avant la parution des décrêts Lacoste qui allaient mettre le feu au poudre, les mineurs gagnant la bataille de la production du charbon et permettant le relèvement du pays, sont considérés comme des héros. Des affiches sont placardées proclamant que le mineur est le meilleur ouvrier de France. C'est l'époque des nationalisations, du statut du mineur, de la mise en chantier du projet de sécurité sociale minière.

Les mineurs sont persuadés que l'ère des compagnies minières qui les traitaient comme des esclaves est à jamais révolue, que la mine est devenue plus humaine, qu'ils ont acquis le respect de tous, qu'ils verront leur métier reconnu et rémunéré en fonction de la dureté et de leur dangerosité. Avec les circulaires et décrets Lacoste, ils tombent de haut. Leur rêve s'effondre, leurs illusions s'envolent. Ils voient revenir les méthodes des Compagnies minières.

 

Les revendications à la base de la grève

 

Le 1er octobre 1948 était rendue publique la consultation des mineurs pour décider d'un mouvement de grève nationale, le 4 octobre. Sur 190.907 suffrages recensés, 168.215, soit 88,5 % se prononçaient pour la grève, contre 22.692. Il s'agit de s'opposer aux décrêts Lacoste et aux circulaires du même nom. La circulaire Lacoste du 13.9.47 est relative à la garantie du salaire. Adressée à la direction des Charbonnages de France, elle donne l'ordre de «suspendre la garantie d'application des salaires statutaires ainsi que les dispositions complémentaires concernant le minimum vital et la prime à la production. Les salaires, tant pour les ouvriers à la journée que pour les ouvriers à la tâche, seront réduits en tenant compte de la perte d'activité constatée».

Cela ne s'est jamais vu. Le ministre va plus loin que ne le sont jamais allées les compagnies minières, même sous l'occupation hitlérienne. On ne peut donc même pas qualifier cela de retour en arrière. Le salaire conventionnel n'a pratiquement plus aucune valeur. La direction des houillères, qui est juge et partie sur la qualité et la quantité du travail fourni, peut payer le salaire qu'elle veut. C'est stupéfiant. Cette nouvelle méthode est testée à la fosse 10 de l'Escarpelle (à Leforest) en mars 1948. Seize ouvriers abatteurs sont payés en dessous du salaire de base. L'ensemble des travailleurs du puits, unanime, réagit par une grève de 18 jours qui, malheureusement, ne put faire reculer la direction. L'affaire fut portée par la CGT devant le Conseil des prud'hommes de Carvin.

Pour montrer tout l'intérêt qu'elle portait à la question, la Fédération Régionale CGT des mineurs du Nord/Pas-de-Calais désigna son secrétaire général, Henri Martel et son secrétaire général adjoint, Joseph Legrand, pour plaider. La direction des houillères fut condamnée. En fait, cette circulaire faisait partie d'un vaste plan destiné à la baisse des salaires de tâche. Après l'échec de la grève de 1948, cette baisse fut effective. Il faut ajouter à cela le rétablissement d'une politique répressive à coups d'amendes et de mises à pied qui avait disparu depuis la Libération. Un autre décret suscite également la colère. Il s'agissait de la remise aux Houillères de la gestion du risque Accidents du travail et Maladies professionnelles que le décret de 1946 instituant la sécurité sociale minière avait placé entre les mains des sociétés de Secours minières, satisfaisant ainsi une vieille revendication syndicale. C'est tout logiquement que les mineurs de France se mettent en grève.

 

 

Répression d'État et état de siège

 

Le gouvernement socialiste/MRP refuse toute négociation et répond du vote par l'envoi de l'armée en pays minier sous prétexte qu'il s'agit d'une grève à «caractère insurrectionnel ». «C'est Moscou qui a donné l'ordre de cette grève». Cela dit, l'accusation n'est pas nouvelle. Jean Jaurès n'a-t-il pas été en son temps accusé d'être un agent de la Prusse ce qui a valu à son assassin Raoul Vilain d'être acquitté. Il s'avère que le but du gouvernement était tout simplement de briser la Fédération CGT des Mineurs et de la priver de toute possibilité d'action pour un long avenir. La direction de la CGT était communiste et en raison du rôle joué dans la Résistance par la corporation il avait fallu faire place aux représentants des mineurs dans les nouvelles institutions au grand dam de la hiérarchie interne et de nombreux ministres y compris socialistes.

Le gouvernement s'enfonce alors de plus en plus dans la répression. Le 22 octobre, un Conseil des ministres, réuni d'urgence dans la soirée, autorise les CRS à ouvrir le feu sur les grévistes, rappelle des réservistes, interdit toutes les réunions mêmes privées, annonce l'expulsion des étrangers participant aux manifestants et donne pouvoir aux préfets de censurer et de suspendre la parution de journaux. Mais la grève reste populaire. Des collectes sont organisées partout en France, les enfants de grévistes sont accueillis par des familles solidaires. Le gouvernement s'en prend alors aux enfants en décidant le 10 novembre, de supprimer les allocations familiales aux mineurs qui poursuivaient la grève.

 

La répression judiciaire

 

L'occupation des bassins et la «reconquête» des puits de mine coûtèrent très cher aux grévistes. Il y eut quatre morts, mais combien de blessés et d'arrestations ? Sans doute près de trois mille puisqu'il y eut 2783 condamnations À l'époque, la conséquence directe des quelque 3000 licenciements pour mineurs était de perdre leurs indemnités de chauffage et de logement prévues par leur statut. Depuis des années, les mineurs concernés et leurs familles visent à faire reconnaître comme discriminatoires ou abusifs les licenciements car le droit de grève était alors reconnu par la Constitution (cf. encadré page 3). Ces quelques témoins prouvent combien les mineurs ont payé durement leur défaite. La fin de l'an 1948 et les années 1949 et 1950 ont été terribles.

C'est un climat de terreur qui a été instauré dans les puits. Cette période mérite d'ailleurs qu'on l'étudie d'une manière approfondie. Le gouvernement a-t-il réussi à briser la Fédération du sous-sol ? Il lui a porté des coups puissants en licenciant plusieurs milliers de ses militants, en faisant condamner une bonne partie de ceux-ci, en révoquant de nombreux délégués mineurs, en faisant peser une menace permanente sur la tête de ceux qui osaient encore faire flotter le drapeau de la CGT. Pourtant la pensée profonde de la corporation est donnée, dans le secret des urnes, par les élections de délégués mineurs (fond et surface) de mars 1949 : CGT, 138.270 voix (70,3 %) ; FO, 39.471 voix (20 %) ; CFTC, 18.582 voix (9,4 %).

 

Que reste-t-il après un tel scrutin, des accusations gouvernementales selon lesquelles les mineurs terrorisés auraient été contraints à la grève par une minorité d'agitateurs aux ordres de Moscou. En mars 1949, les mineurs qui ont commencé à payer durement les décrets Lacoste et la politique antisociale disent clairement avec leur bulletin de vote. «La CGT a eu raison d'engager la lutte. Nous avons perdu la grève, mais rien n'aurait été pire que de céder sans lutter. Notre dignité de travailleurs, personne ne pourra nous l'enlever». Battus oui, mais vaincus à jamais, non. En 1951, le ministre Louvel, marchant sur les traces de son prédécesseur Lacoste, voulut profiter de la situation et mettre fin par décret à la gratuité de la Sécurité sociale minière. Mal lui en prit. En 48 heures, tous les puits du Nord/Pas-de-Calais avaient cessé le travail. La CGT était toujours là, puissante, agissante à la tête des mineurs. Moins de 30 mois après novembre 1948, les mineurs infligeaient au pouvoir une cinglante défaite qui allait être suivie d'autres.

 

1948, grève insurrectionnelle ou terrorisme d'État ?

 

Par Norbert Gilmez

 

DANS la Voix du Nord du samedi 5 janvier dernier, J.L. de Noyelles-sous-Lens rappelle la part des mineurs pour le relèvement de l'industrie française et cite plusieurs dates manquantes dans l'article concernant la fin des Charbonnages. Rappelant «la grève pour les salaires et la sécurité de 1948», il y ajoute, je pense par inadvertance, le qualificatif «insurrectionnelle» (résultat peut être de cette calomnie odieuse si souvent répétée.

«Calomniez, calomniez dit-on, il en restera toujours quelque chose»). Gréviste de 1948 emprisonné, licencié, j'estime utile pour les lecteurs qui seraient abusés de rétablir la vérité. Je ne citerai à cet effet que la relation par Raymond Robin de Montceau les Mines sur la défense par les grévistes du puits des Alouettes face aux CRS qui les mettaient en joue le fusil chargé d'une balle dans le canon. Je cite : «... ce fut un corps à corps terrible... j'ai frappé de toutes mes forces jusqu'à ce que l'ennemi capitule. Nous avions fait 200 prisonniers... Mais nous étions humains. Et je me souviens avoir signé des «permissions» de départ à des CRS, à l'un parce que sa femme allait accoucher, l'autre parce que son fils était malade, à un troisième parce qu'il avait perdu sa mère. On a dit que nous menions une grève insurrectionnelle. Nous avions désarmé tous les CRS. Or, qu'avons-nous fait de leurs armes ? Nous les avons cassées et jetées dans le canal...»

Inutile d'insister, je pense. Cependant, je me permets de rappeler que cette grève de 1948 était des plus démocratiques. Les mineurs ont participé au référendum sur la grève à plus de 94 %. Et la grève a été votée à 89,70 % des exprimés sur les revendications de salaires, le minimum vital, les primes de production, l'extension des pouvoirs des délégués mineurs pour assurer la sécurité, l'augmentation des retraites, l'application de la loi sur les nationalisations, etc... En faisant investir le bassin Lorrain par les forces de police alors que les discussions se poursuivaient, Jules Moch violait la Constitution qui garantissait le droit de grève, droit ne souffrant d'aucune restriction selon le statut du mineur. Et ce fut l'emploi de la force, les brutalités pour amener de force les grévistes au travail, toute une période d'illégalités, de violences avec des morts. C'est par la force, la violence, illégalement que Jules Moch voulait imposer sa volonté d'empêcher la gréve.

Le 16 décembre 2005, j'ai pris connaissance de la déclaration du Procureur général de la Cour d'assises de Douai au procès de Lionel Dumont, et je cite : «Vouloir imposer ses idées par la force cela s'appelle du terrorisme ». Alors je vous le demande : Jules Moch en utilisant l'appareil d'État pour empêcher la grève, n'a-t-il pas instauré un terrorisme d'État contre les mineurs ? selon la déclaration ci-dessus d'une éminente personnalité judiciaire. PS : Peut être serez-vous étonnés de savoir que les mineurs licenciés attendent toujours l'application de la loi d'amnistie d'août 1981, alors que dans toutes les branches professionnelles nationalisées les travailleurs sanctionnés pour faits de grève et actions syndicales avaient obtenu réparation depuis au moins avril 1982. Ils étaient environ 300 en 1982, il n'en reste que 17 à ce jour, dont la situation va être examinée au Conseil de prud'hommes de Nanterre prochainement. Norbert Gilmez, 86 ans, Bully-les-Mines.

 

 

60 ans après, d'anciens mineurs licenciés pour grève demandent réparation

 

SOIXANTE ANS après une grande grève durement réprimée à l'automne dans les mines de charbon du nord, d'anciens salariés licenciés suite à leur mouvement ont demandé réparation de leur préjudice lundi devant le tribunal des Prud'hommes de Nanterre. L'affaire a été renvoyée au 19 novembre 2008, l'audience de conciliation à huis clos n'ayant pas permis de déboucher sur un accord entre les 17 requérants et les établissements publics saisis, Charbonnages de France et l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM). Dans ce dossier atypique, les anciens salariés des mines, ou leur famille pour ceux qui sont décédés, réclament que les licenciements soient reconnus comme discriminatoires ou abusifs, car le droit de grève était inscrit dans la Constitution. A l'automne 1948, le mouvement fut lancé pour s'opposer à la modification du statut des mineurs décidé par le ministre de l'Industrie et du Commerce, Robert Lacoste.

Devenue rapidement massive, la grève suscita une répression d'ampleur, avec des interventions de l'armée et des CRS dans les houillères. "Il y a eu des morts et des blessés, c'était un véritable état de siège", a raconté Norbert Gilmez, un ancien employé administratif inscrit à la CGT, venu du Pas-de-Calais lundi, malgré ses 86 ans, pour assister à l'audience. "Les mineurs avaient été appelés à produire pour la renaissance de la France, on s'était retroussé les manches (...) et on nous a licenciés sans motif, c'est pour cela que nous demandons réparation", a-t-il poursuivi. Les anciens mineurs et leurs familles ont attendu 1981 pour qu'une loi d'amnistie couvre les faits, puis la loi de finances 2005 a prévu une indemnisation pour les prestations de chauffage et de logement, mais pas pour les salaires non versés suite aux licenciements. Seule la moitié environ des 17 requérants ont depuis reçu des indemnités, s'élevant à 20.000 euros en moyenne, selon leurs avocats. Les anciens mineurs ont alors saisi la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), mais celle-ci n'est pas parvenue à trouver une médiation avec Charbonnages de France, un différend persistant toujours sur le montant du préjudice à allouer.

Les requérants demandent 60.000 euros chacun de dommages et intérêts en réparation du préjudice matériel et moral qu'ils ont subi. Lundi, selon les quatre avocats des anciens salariés, tous membres d'un collectif spécialisé dans les discriminations, Charbonnages de France a fait valoir qu'elle avait été dissoute par un décret prenant effet le 1er janvier 2008. De son côté, l'Agence nationale pour la garantie des droits des mineurs (ANGDM), qui s'est substituée à Charbonnages de France, a indiqué dans un communiqué qu'elle n'est "pas l'ancien employeur des mineurs révoqués en 1948 et n'est donc pas légitime à intervenir dans l'appréciation" du licenciement.

Précisant avoir déjà versé des indemnités pour le logement et le chauffage à tous les requérants, elle ajoute que "tous les ayants droit de l'ANGDM peuvent saisir une commission de recours" en cas de désaccord avec le mode de calcul de la prestation.

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