L'EUROPE,FORTERESSE DE LA HONTE

Publié le par Liberté 62



L'EUROPE,

FORTERESSE DE LA HONTE

 

Le 18 juin 2008, le Parlement européen a adopté une directive dite du «retour». texte préparé de longue date et dont le contenu a proprement scandalisé l'ensemble des associations humanitaires et internationales qui travaillent auprès des populations concernées.

 


Propos recueillis par Karim Ben Tayeb


CE texte que le Comité Inter- M o u v e m e n t s Auprès Des Evacués (CIMADE) n'a pas hésité à qualifier de directive de la honte, viole clairement la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1949, mais aussi et ceci constitue une faute impardonnable pour l'Europe, la Déclaration Universelle des Droits de l'Enfant proclamée le 20 novembre 1959. Liberté 62 a voulu comprendre les raisons qui ont poussées la CIMADE à qualifier ce texte de «directive de la honte». Thierry Slesch a accepté de répondre à nos questions.


  • L62 : Tout d'abord, quel rôle jouez-vous au sein de la CIMADE ?


Thierry Slech : Je suis coordinateur régional pour le Nord-Pas-de- Calais, la Picardie et la Normandie. Je dirige les bénévoles et salariés de l'association mais je m'occupe aussi de l'ensemble des locaux de rétention.


L62 : Des locaux de rétention, ne dit-on pas des centres de rétention ?


TS : Oui, les centres de rétention sont des lieux permanents de rétention, mais il arrive souvent que la Préfecture décide par arrêté de perquisitionner un Hôtel ou une quelconque autre bâtisse afin d’y placer des étrangers en situation irrégulière. Par manque de place, par soucis pratique etc...


L62 : Rapidement, la CIMADE existe depuis quand ?


TS : Sa création remonte à la veille de la seconde guerre mondiale, le 18 octobre 1939 très précisément. signifie «Comité Inter-Mouvements Auprès Des Evacués». À l'époque elle s'était attachée à venir en aide aux réfugiés d'Alsace Lorraine, pendant toute la guerre elle jouera un rôle très important dans les camps de Vichy et dans la résistance. En 1985 elle effectue son entrée dans les centres de rétention.


L62 : Pouvez-nous nous expliquer en quelques points cette directive que vous qualifiez de directive de la honte ?


TS : La détention peut atteindre 18 mois (actuellement 32 jours maximum en France), ce qui nous apparaît comme beaucoup trop long au regard de la dignité humaine. De plus cela risque d’aligner l'ensemble des pratiques sur ce temps de 18 mois, alors que jusqu'à maintenant la durée ne dépassait pas en moyenne 17 jours en France. L'interdiction de retour sur le territoire européen est systématique pendant cinq ans, ce qui va criminaliser les clandestins qui reviennent, et ils reviennent de toute façon. Les migrants illégaux peuvent êtres renvoyés dans leur pays d'origine mais également vers des pays dits de transit même s'ils n'ont aucun lien avec ces pays, ce qui augure du pire pour leur retour forcé. Enfin la détention et l'exclusion des mineurs accompagnés comme seuls est permise et l'obligation de délivrer des titres de séjour aux personnes gravement malades est supprimée.


L62 : Qu'est-ce qu'un pays de transit ?


TS : Pour faire bref, cela peut-être n'importe quel pays. Mais le plus souvent il s'agit de pays tiers non signataires des conventions internationales. C'est ce qui s'est passé le 17 mars 2005, l'Italie a alors expulsé 150 sans papiers vers la Libye, pays non parapheur de la convention de Genève, ceci dans le cadre d'un accord bilatéral. À l'époque, cet accord faisait suite à la levée de l'embargo. La Libye a ensuite expulsé la plupart de ces personnes vers leurs pays d'origine, où certains furent emprisonnés dans des conditions inhumaines. En somme, la directive du retour permet en toute légalité de contourner les conventions internationales dont l'Europe est signataire. C’est une logique qui nous inquiète réellement à la CIMADE.


L62 : Que pouvez-vous dire sur l'enfermement et l'éloignement autorisé des mineurs.


TS : La pratique de l'enfermement des enfants tendait déjà à se multiplier ces dernières années, mais aujourd'hui c'est l'institutionnalisation de cette pratique à laquelle nous allons devoir faire face. Un enfant pourra être livré à lui-même, enfermé pour des mois et se retrouver dans un pays qui n'est pas le sien sans responsable légal. C'est un point de non retour qui est atteint.


L62 : Combien de mineurs en moyenne ont été enfermé en centre de rétention cette année ?


TS : Environ 150, mais combien demain ? En France un mineur est normalement un mineur, un mineur isolé est placé à l'Aide Sociale à l’Enfance (ASE). Avoir voté ce texte, c'est donc aller à l'encontre de la protection de l'enfance et des textes nationaux et internationaux qui y font mention. La France les a pourtant signé.


L62 : Comment font les autorités pour les adolescents. Certains d'entre eux sont d'un âge indéterminable, quels procédés sont utilisés ?


TS : C'est un véritable problème, tout d'abord parce qu'on assiste à un glissement sémantique, on se sert de la médecine à des fins juridiques, ce qui ne peut manquer de nous rappeler l’une des périodes les plus sombres de l’Europe. D'habitude les autorités utilisent le test osseux, mais ce test comporte une marge d'erreur de 18 mois. Et nous voyons souvent des médecins déclarer un adolescent majeur sans aucune certitude, ces médecins jouent alors le jeu des autorités et l'on peut s'interroger sur la légalité de ces tests. Mais le problème quant à contester la validité de ces tests osseux réside dans l'obstination des autorités à examiner les adolescents. Les autorités veulent du chiffre, c’est la politique des quotas, si les test osseux sont abandonnés, nous avons peur à la CIMADE que ces mêmes autorités obligent ces adolescents à subir des tests bien plus dégradants.


L62 : Des tests plus dégradants ?


TS : Leurs obsessions du chiffre des reconduites à la frontière les pousseraient assurément à user de n’importe quel moyen. Ils pourraient par exemple multiplier les tests pubères et il se trouverait toujours un médecin pour pratiquer un examen mammaire, pubien que sais-je encore. Ce serait vécu par l’adolescent(e) comme un véritable traumatisme, en plus de celui de l’arrestation, de la détention et de l’exclusion. Nous sommes face à un dilemme, nous devons protéger les adolescents mais face à la volonté indéfectible des gouvernements...


L62 : Que signifie pour vous cette politique ?


TS : Il est très clair que nous sommes dans une phase de criminalisation des migrants. Ceci au prétexte fallacieux d'harmoniser les lois sur l'immigration en Europe. En fait cela sert surtout de support électoraliste, Nicolas Sarkosy et Brice Hortefeux doivent maintenant respecter leur promesse de campagne et leur promesse se réduit à un chiffre, 125000 reconduites à la frontière. Qu’importe les moyens, les êtres humains, qu’importe les cas individuels, les enfants, les personnes malades.


L62 : N'y a t-il pas un non-dit ethnique ? Les populations d'Europe de l'Est ne sont-elles pas mieux acceptées ?


TS : Il y a surtout un non-dit économique et social, vous savez, un ingénieur formé dans n'importe quel pays d'Afrique ou du monde ne connaît pas les mêmes difficultés qu'un migrant à emploi très peu qualifié. Il y a ainsi une liste d'emplois très qualifiés que l'Europe accueille à bras ouverts. C'est aussi cela la politique de l'immigration choisie. Piller des ressources humaines qualifiées qui plus est formées en Afrique ou ailleurs, estce cela la politique du co-développement ?


L62 : Et la politique des quotas ?


TS : Il suffit de consulter la commission Mazeau. L'ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeau a rejeté la politique des quotas. Selon cette commission : «Une politique de contingents migratoires limitatifs serait sans utilité réelle en matière d'immigration de travail, inefficace contre l'immigration irrégulière». Les conclusions de cette commission s'opposent directement à la politique voulue par le président Sarkosy et Brice Hortefeux, Ministre de l'Immigration. À la CIMADE nous en prenons note.


L62 : Que préconisez-vous à la CIMADE


TS : Le problème est trop vaste pour servir d'effet d'annonce électoraliste à qui que ce soit. Nous appelons de nos voeux un véritable Matignon de l'immigration, il faut prendre le problème à bras le corps et réunir l'ensemble des acteurs concernés. Mettre des barbelés reste une politique de facilité et ne règle rien.

 

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