LA GRÈVE DE LA FAIM DES SANS-PAPIERS ENTRE DANS SA 9ème SEMAINE

Publié le par Liberté 62

Liberté 62 n°769 - Le 10 août 2007 - 6- Social

 

LILLE

LA GRÈVE DE LA FAIM DES SANS-PAPIERS

ENTRE DANS SA 9ème SEMAINE

 

Par Sébastien Boncourt

 

La lutte des sans-papiers regroupe

celles du droit au logement, au travail, à

l’accès aux soins, à l’éducation et aux

libertés individuelles.”

 

Géraldine (soutien des sans-papiers)

 

 

phot-sans-pap-html-59b8d7e.jpgA plus de 50 jours de grève de la faim pour des dizaines d'entre eux, les sans-papiers à Lille continuent le combat implacable qui les oppose à la préfecture de région. Celle-ci a fortement durci le ton en dénonçant les accords qui régissaient jusque là ses relations avec les partenaires concernés et en donnant vraissemblablement des consignes d'extrême fermeté à la police nationale. Celle-ci se montre plus violente que jamais, en particulier à l'encontre des grévistes de la faim. Des exactions sans précédent ont été commises sous la forme de coups de poings et de pieds ainsi que des privations intentionnelles d'eau contre des sans-papiers ayant dépassé le seuil des 40 jours de jeûne. Cette brutalité s'inscrit dans un rapport de force qui s'est empiré depuis un peu plus d'un an sous l'action du préfet Daniel Canepa, ancien directeur du cabinet de Nicolas Sarkozy lorsque celui-ci était ministre de l'intérieur.

Le non-respect par la préfecture des accords Delarue  a déclenché la colère des sans-papiers

C'est le non-respect par la préfecture des accords Delarue qui a déclenché la colère des sans-papiers et la treizième grève de la faim de leur mouvement à Lille. Ces accords, obtenus grâce au rapport de force, datent de juin 2004 et visaient notamment à éviter le mouvement de va-et-vient entre les grèves de la faim et les régularisations qui s'en suivaient. Ils permettaient aussi la mise en place de nouveaux critères d'acceptation des dossiers un peu plus souples que ceux prévus par la loi. Ainsi, l'évolution des sans-papiers non régularisables était prise en compte en fonction de critères fixés au cas par cas par la préfecture comme, par exemples, la pratique de la langue française, l'investissement dans le tissu associatf, la formation ou les promesses d'embauche. Un autre aspect des accords Delarue résidait dans la garantie apportée par la préfecture d'un certain nombre de dossiers traités chaque mois. Pendant deux ans cette entente avait fonctionné sans accroc notable jusqu'à ce que les dossiers non traités s'accumulent pour atteindre le nombre de 533 à ce jour. Viennent ensuite les campagnes présidentielles et législatives et, avec elles, la nécessité dans laquelle se sont trouvés les sans-papiers de peser dans le débat politique. Le Comité des sans-papiers du Nord (CSP 59) avait alors rencontré la préfecture pour les prévenir de leur volonté de mener une série d'actions, essentiellement sous forme d'occupations.

Retour sur les événements

Un accord qualifié par les CSP 59 de "non rafle" est alors établi : occupation pacifique et non résistance aux évacuations par les forces de l'ordre contre non-violence et absence d'arrestation lors des actions. Cet accord de principe avait été respecté jusqu'à ce que la police nationale, appuyée par la brigade anti-criminalité, arrêtent une trentaine de sans-papiers à l'occasion d'une occupation, le 15 juin 2007. Suite à cette opération, 3 sans-papiers font immédiatement l'objet d'une tentative d'expulsion, 25 autres sont emmenés en centre de rétention. Les 3 offrant une résitance, les pilotes refusent de les faire monter à bord. Depuis, l'un d'entre eux a été régularisé, ce qui indique le peu de cohérence de cette action préfectorale. Ceux qui se retrouvent détenus se révoltent contre la situation misérable dans laquelle l'Etat français les plonge et décident, dans leur centre de rétention, d'entamer la grève de la faim qui n'est toujours terminée à l'heure où nous écrivons ces lignes. Contre l'arrêt de cette grève ils réclament la régularisation immédiate des 533 personnes en attente de traitement de leur dossier. Ce retard dure depuis plusieurs années pour certains d'entre eux.

Grève de la faim et évacuation " musclée" de la bourse du travail.

D'autres sans-papiers vont rejoindre les premiers dans cette grève de la faim et le mouvement s'installe à la bourse du travail de Lille le 25 juillet. Cette "installation" est consentie par les syndicats qui travaillent dans ces lieux. Pourtant, le 1er août, la préfecture envoie ses troupes évacuer de façon "très musclée", selon les nombreux témoins, la bourse du travail. Des grévistes de la faim sont rudoyés, entravés et arrêtés. Ce qui est nouveau dans l'attitude de la préfecture, outre les arrestations, les coups et les privations d'eau dans le commissariat, c'est la pression que la préfecture exerce manifestement sur les directeurs d'hôpitaux par le truchement de l'agence régionale des hôpitaux. Jamais autant d'hôpitaux n'ont refusé d'hospitaliser des grévistes de la faim ou de les "déshospitaliser" dans des délais si brefs. Même les médecins du 115, ce numéro d'appel d'urgence dont la mission est d'assurer une assistance aux plus démunis, rechignent à venir chercher les grévistes. D'une façon générale, selon le CSP 59, l'impression dominante est le désengagement diplomatique de la préfecture au profit d'une politique répressive d'actions de contraintes et d'extrême fermeté. La position du préfet Daniel Canepa est retranchée derrière l'exigence d'un arrêt de la grève de la faim avant toute discution. Bien sûr, celui-ci craint plus que tout que des morts n'entachent son mandat. Mercredi, il a ses dossiers des 533, ce qui est inacceptable pour des grévistes de la faim qui verraient leur action balayée d'unrevers de manche méprisant, sans effets, "comme s'il ne s'était rien passé."

S'agit-il pour la préfecture de diviser pour mieux régner en rendant le CSP 59 minoritaire ?

Avant même cette rencontre, la préfecture s'est empressée de communiquer l'information aux médias dans une volonté évidente de donner des signes d'ouverture. De la même façon, elle a déclaré par la voix du préfet son intention d'élargir le groupe d'associations qui consituent les partenaires de ce dossier. S'agit-il de diviser pour mieux régner en rendant le CSP 59 minoritaire ? Ses porte-parole ne souhaitent pas s'exprimer sur ce projet qu'ils considèrent comme une énième tentative de la préfecture de se montrer ouvert tout restant fermés à tout véritable avancée sur le terrain.

Le CSP 59 revendique que les personnes régularisées reçoivent enfin leur récipicé, que les grévistes de la faim soient régularisées et que les 533 voient enfin leur dossier traité au risque que la grève de la faim continue et que d'autres sans-papiers rejoignent ce combat extrême.

 

 

 

RENCONTRE AVEC SAÏD BOUAMAMA, PORTE-PAROLE DU COMITÉ DES SANS-PAPIERS DU NORD


  • Liberté 62 : «Qui décide de la grève de la faim et de son prolongement ?»

  • Saïd Bouamama : « Les manifestations -hebdomadaires dans l'année et quotidiennes depuis l'expulsion de la bourse du travail - sont suivies d'assemblées générales de sans-papiers où seuls les sans-paiers votent. Pour ce qui concerne les décisions relatives aux grèves de la faim, seuls les grévistes peuvent voter. C'est ce qui s'est passé au centre de rétention après la rafle du 15 juin.»

  • L 62 : «Pourquoi la lutte des sanspapiers vous paraît-elle essentielle ?»

  • Saïd Bouamama : «Il s'agit d'une lutte centrale dans les rapports de force sociaux en France. Dans la mondialisation capitaliste les choix économiques sont très clairs : tout est bon pour être compétitif. Priver une partie du salariat de ses droits donne un avantage dans cette compétition. On s'arrange alors pour que des centaines de millers de personnes ne puissent pas revendiquer l'accès au droit du travail. Les sans-papiers constituent une cible de choix pour servir cet objectif. Ils se retrouvent dans des secteurs comme le bâtiment, la restauration ou le textile. Ce calcul économique vise à diviser le salariat. Le jour où il y aura une prise de conscience de la communauté des intérêts entre chômeurs, salariés à temps plein et partiel, contrats à durée indéterminée ou non, et sans-papiers, ce jour-là beaucoup de choses changeront dans ce pays. L'Etat est directement impliqué dans ce déni de droit : nombre de sans-papiers ont travaillé pour lui. Ainsi l'arche de la défense à Paris, les jeux olympiques d'hiver à Albertville ou bien encore le métro parisien ont été construits en partie par des sans-papiers, rendant ces constructions moins coûteuses.»

  • L62 : «Que pensez-vous du regard compassionnel de certains des concitoyens sur le sort des sans-papiers ?»

  • Saïd Bouamama : «La vision humaniste est complémentaire de celle que je viens d'évoquer. Les humanistes sont sensibles à la vision que donnent des grèvistes de la faim mais il me semble qu'une lecture en terme de lutte des classes est plus efficace à long terme. Le combat des sans-papiers est à placer dans un cadre plus général.»

  • L62 : «Que vous a inspiré la remarque que Michel Rocard avait fait naguère sur " toute cette misère du monde que l'on ne peut pas accueillir" ?»

  • Saïd Bouamama: «C'est un mensonge caractérisé qu'il est triste d'entendre dans la bouche d'une personalité se disant à gauche. Pour traverser les frontières vous avez non seulement besoin d'argent pour payer le transport et les passeurs mais aussi de capacités de débrouillardise réelles dont ceux qui sont les plus démunis sont souvent privées. Les plus pauvres restent. Au CSP59, parmi ceux qui viennent nous rejoindre, on voit réguliérement arriver des gens cultivés tels que des médecins, des architectes, des ouvriers qualifiés ou bien encore des personnes sans qualification apparente mais dotées d'une dynamique solide en matière de commerce.»


 

 

Publié dans Social

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article