LA TRIBUNE DES MINEURS - UN GRAND PAS POUR LA DÉFENSE DE TOUTE UNE CORPORATION

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Liberté 62 n°776 - Le 28 Septembre 2007- 4 et 5 -Social

 

Créée le 7 septembre 1907, “La Tribune des mineurs” fête ses 100 ans

 

UN GRAND PAS POUR LA DÉFENSE DE TOUTE UNE CORPORATION

Par Pierre Pirierros


BILLY-MONTIGNY (fosse 2), Méricourt (fosse 3, Lavaleresse) et Sallaumines (fosse 4, Sainte- Barbe), tous ces noms sont, aujourd’hui, des symboles ; des symboles d’un temps suspendu à des moments tragiques. Les conséquences iront loin. Tout un pays en deuil ! 1100 morts ! Le samedi 10 mars 1906, à 6 h 30, une terrible catastrophe de grisou, survenait dans les travaux sud de la Concession Minière de Courrières. Immédiatement, dans tout le bassin minier, les mineurs entament une grève. C’est une révolte spontanée, elle sera porteuse de toutes les revendications fondamentales des mineurs et s’inscrira dans les grandes pages du syndicalisme et de la lutte politique dans le Nord/Pas-de-Calais, dans tout le pays et même au delà. Les Compagnies minières sont violemment stigmatisées, elles sont les véritables responsables de cette catastrophe, la plus importante qu’ait connue la mine.

L’année suivante, en 1907, le syndicat des mineurs prend une très grande décision, celle de s’adresser à toute la corporation minière par le truchement d’un journal. La presse d’opinion marque un pays et sa population. Il en est ainsi de “la Tribune des mineurs” qui fête, cette année son centenaire. Le premier numéro fut publié le 7 septembre 1907. Il porte le titre “La Voix des mineurs”. Une exposition sur ce centenaire est visible à la Maison syndicale de Lens. Un débat, non elliptique, sur l’immigration polonaise mit en lumière la véritable place et les vicissitudes de toute une population étrangère dans la société française.

 

 

 

L62-776-photo-2-html-63cc3134.jpgLe registre de la mémoire et des représentations collectives recèle encore des enjeux très importants. Éviter l’oubli, le réparer, la détermination des engagements prennent appui sur le combat collectif, qu’il soit politique ou social. C’est l’espace défini pour “dessiner” le monde de demain, avec la même vibration qu’au début du combat. À partir d’un tel espace, le monde de la mine, l’idéologie “choisie” sont des domaines de lutte d’où la perfection est bannie. Pour parcourir tout ce centenaire, nous avons, durant de longues heures, discuté avec André Démarez, vice-président de l’Association “Mémoires et cultures”. L’Histoire du syndicalisme dans le Bassin minier de notre région est indissociable du combat des mineurs. André Démarez, journaliste communiste, envoyé spécial permanent en Pologne de “l’Humanité”, a suivi et suit les grands moments de la vie des mineurs du Nord/Pas-de-Calais. Son éclairage nous est très utile. C’est le sens exact de la transmission de la mémoire.

De la “Voix des mineurs” à la “Tribune”

Il ne s’agit pas de faire l’apologie d’une corporation mais de replacer le contexte de la parution de “la Tribune des mineurs” dans la vie. Après la catastrophe de Courrières, le syndicat des mineurs (Émile Basly en était alors le dirigeant avec Arthur Lamendin) prend la décision d’éditer régulièrement un journal qui parle des activités du syndicat. Ce fut fait, en septembre 1907, avec un titre très sobre “La voix des mineurs”. Parallèlement à la sortie du journal, s’édifie dans le centre de Lens, la Maison syndicale, en 1908. Le syndicat des mineurs du Pas-de-Calais voulait un grand outil de travail avec son journal qui “reproduit” ce que disaient les mineurs et les adhérents du syndicat. Très vite, la bataille entre syndicat réformiste et syndicat révolutionnaire va apparaître avec les antagonismes entre Basly et Broutchoux.
Une grande partie des mineurs adhère à la CGT. La guerre 1914- 1918 voit une “union sacrée”, la Maison syndicale est détruite, les bons du trésor circulent (pour l’armement et le réarmement), le journal suspend sa parution. Pendant la durée de la guerre, les syndicalistes ont leur siège à Bruay-en- Artois, dans un café.
À l’issue de cette guerre, le synd
icat des mineurs décide avec les dommages de guerre de reconstruire la Maison syndicale, à la même place, (rue Casimir Beugnet). C’est un bâtiment qui coûte cher, et qui, pour l’époque, avait une dimension considérable, (bureaux, salle de réunion, imprimerie, cinéma). Ce fut quelque chose d’inédit pour un syndicat et l’inauguration , place Jean Jaurès, fut suivie par une foule considérable. Roger Salengro y prononça le discours. La Maison syndicale, toute drapée de rouge, dans un contexte de poursuite de la bataille entre réformistes et révolutionnaires. Cela allait durer jusqu’au Fron Populaire. La CGTU, entre 1921 et 1936 avait le vent en poupe mais ses détracteurs la plaçait du côté de Moscou. Basly meurt en 1928. Le journal et son contenu recouvrait tout cela et les réformistes avaient la main mise sur le journal, mais l’aspect revendicatif des mineurs existait. Le ton était on ne peut plus anticommuniste. Tous ceux qui n’étaient pas d’accord avec l’esprit “majoritaire” étaient immédiatement exclus. Les choses allaient changer avec, d’année en année, la “montée” de syndicalistes qui collaient aux problèmes pour la défense de la corporation. Ce fut la réunification de la CGT et le Front populaire. Le syndicat des mineurs était traversé par toutes les contradictions inhérentes au mouvement ouvrier. 1936, la Guerre d’Espagne, allaient bouleverser la donne politique. Des coopératives ouvrières et des commerces généraux existaient.
Des hommes au syndicat des mineurs, tels Priem, Legay, Cadot, allaient jouer un rôle des plus détestables puisqu’ils se plaçaient, dès 1940, dans les rangs des pétainistes et sombraient dans la collaboration avec l’ennemi. La campagne, dans le journal, contre le pacte germano-soviétique, prenait une allure d’hystérie. En 1939, ils s’installent à la Maison syndicale et adoptent la Charte du travail de Pétain. Dans un contexte d’exacerbation, ceux qui sont restés à la CGT, leur tournent le dos. Ils appellent les mineurs à l'action, par l'intermédiaire des militants qui sont dans les CUSA (Comités d'unité syndicale et d'action), des syndicats clandestins constitués à la suite de l'interdiction des centrales syndicales par Vichy.

Une culture minière

Après l'invasion du Nord de la France par les troupes allemandes, puis la signature de l'armistice, le 22 juin 1940, deux départements français riches en bassins miniers représentent un enjeu majeur pour l'économie de guerre allemande : le Nord et le Pas-de-Calais.
Mais il y a une culture minière, toute une culture. La chronologie a son importance. Les mineurs étaient requis durant toute
la seconde guerre mondiale. C’est ainsi que la Tribune allait sortir clandestinement sous l’égide de syndicalistes chevronnés, militants par ailleurs du Parti communiste français, Michel Brûlé, Julien Hapiot, Auguste Lecoeur. Julient Hapiot et Auguste Lecoeur étaient engagés dans les Brigades internationales et savaient ce que signifiait le fascisme. Ils avaient vu Guernica écraser par les bombes allemandes. La seconde guerre mondiale n’était pas une guerre entre impérialistes, c’était le fascisme contre le reste du monde. Cela avait une importance capitale et le Pas-de-Calais allait résister directement aux nazis, notamment, lors de la grève des mineurs. Pour ces dirigeants syndicalistes et militants, il fallait s’opposer à l’ennemi. Les conditions de vie et de travail ne cessaient de se dégrader et le mécontentement des mineurs augmentait. Le 1er janvier 1941, l'occupant décide d'allonger la journée de travail d'une demi-heure sans augmenter les salaires. La classe ouvrière dans les mines du Pas-de-Calais s’organisait. Il fallait chasser l’occupant. Auguste Lecoeur prend la parole au puits Dahomey, ce fut la grande grève patriotique de mai-juin 1941 avec des conséquences immenses dans le conflit. Tous les mineurs arrêtent le travail. “Par le feu, le fer et le sang.” Fin juin 1941, l’armée allemande pénètre en URSS. Durant toute la durée de la seconde guerre mondiale, les locaux de la Maison syndicale sont requis, (la Banque de France y transporte ses coffres). La Tribune des Mineurs connaîtra à la Libération son apogée avec des tirages des 100 000 exemplaires. Les locaux sont récupérés par les syndicalistes résistants. Trois résistants prennent possession de la Maison syndicale et de son imprimerie, Victor Foulon, Aimable Duhamel, Eugène Glorieux.
Le destin est là, c’est un optimisme lucide. Ce sont les grands moments de la Libération. La Tribune des mineurs joue un rôle considérable avec la publication des rapports des délégués ; la description des techniques d’exploitation du charbon est reprise d’édition en édition. La CGT prend une place prépondérante dans tout le Bassin du Nord et du Pas-de-Calais. Henri Martel est chargé d’un exposé précis sur la nationalisation. La bataille du charbon bat son plein. Le charbon est le “pain” de l’industrie.

La nationalisation

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André Démarez, vice-président de

l'association Mémoire et Cultures :

«La force de la Tribune des mineurs

dépassait le langage syndical.»


Le 16 janvier 1945, les mineurs de notre région signent une convention allant dans le sens de la nationalisation. Auguste Lecoeur, membre dugouvernement, secrétaire d’État à la production charbonnière, prend la parole, es qualité, au congrès de février 1946, à Montceau-les-Mines. La Tribune des mineurs relate, semaine après semaine, toutes les étapes. En 1946, l’Assemblée Nationale vote à main levée la nationalisation des houillères.
La loi du 17 mai 1946 crée un organisme central, “Charbonnages de France”, chargé de la coordination des différentes Houillères de Bassin. Cette réorganisation donne un statut unique pour toute la corporation “Le statut du mineur” et la Sécurité Sociale minière. En mai 1947, la droite chasse les communistes du gouvernement. La France est dans les années du Plan Marshall. Tout cela est contraire à l’esprit de la Résistance. Les syndicalistes mineurs de la CGT allaient prendre part, d’une façon importante, dans le combat politique au Parti communiste. De nombreux délégués furent élus maires dans les communes du Bassin minier.

Les mineurs ont dit non à la défaite et aux cendres”, ces paroles de Paul Éluard résonneront très fortement durant les grèves de 1948. Ce fut un tournant dans un contexte politique très difficile. Auguste Lecoeur prend la tête des grévistes. La Tribune des mineurs relate ces événements. Durant ces années là, FO, inaugure à Lens, son siège, avec des subventions de fonds américains et allemands.
Les choix énergétiques changeaient. En 1951, la CECA -communauté européenne du charbon et de l’acier - (ancêtre de l’Europe, en tant qu’entité politique) devait peser lourdement sur l’abandon successif de la filière charbonnière en France. Les grèves de 1963 ont eu un retentissement profond dans tout le pays, les mineurs, à l’appel de la CGT, firent grève six semaines et mirent De Gaulle en échec, notamment, sur la réquisition. Ils gagnent au sortir de cette grève de mars-avril de conséquentes augmentations de salaires.

 

La force d'un journal


La force d’un journal, comme la Tribune des mineurs était, non seulement, la défense de toute une corporation, mais aussi, la mise en valeur des conquêtes sociales. La publication d’articles en langue polonaise était très appréciée d’une communauté très attachée à ses racines. La campagne contre la mortalité infantile, très forte dans le Nord-Pas-de-Calais s’appuyait sur les médecins de la Sécurité sociale minière. La lutte contre la silicose est constante. C’est, donc, un dossier difficile que les syndicalistes suivent avec attention et ils pèsent de tout leur poids pour faire reconnaître cette maladie professionnelle alors que des dérives bureaucratiques constituent un “parcours” infernal pour le mineur et sa famille. C’était la caractéristique d’un journal qui dépasse les clivages purement syndicaux. La notoriété était telle que la Tribune disposait de huit éditions dans tout le Bassin minier.
La grande bataille du charbon était l’épicentre de toute une classe ouvrière, luttant pied à pied, pour son devenir et celui du pays.

 

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